Le trésor de Sunthy || Arnaud Friedmann

Résumé : "On est français, tu entends ?
Si on te pose la question, tu dois toujours répondre que tu es française.
Et refuser toute discussion sur le sujet.
Tu peux juste préciser que ton nom de famille est d'origine cambodgienne.
De l'est du Cambodge. Rien d'autre."

Arnaud Friedmann est un passionné d'Histoire et de Littérature. C'est donc tout naturellement, après des études de Lettres et d'Histoire, qu'il se tourne vers une prépa littéraire qu'il conclura par un mémoire qui porte sur l'immigration cambodgienne dans le Doubs, d'où il est originaire.

Le trésor de Sunthy est son premier roman jeunesse.
Nous suivons une jeune fille de 14 ans, Garance Tran, qui, à un âge où l'on se questionne sur qui l'on est et qui l'on va devenir, réalise qu'elle ne sait rien sur le passé de son grand-père paternel, un cambodgien arrivé en France en 1979. Elle ignore tout de ce passé qui est aussi le sien et qui semble être un secret de polichinelle dans sa famille. En effet, très tôt, on lui a intimé l'ordre de répondre qu'elle était française si on lui posait une question sur ses origines.
L'hospitalisation soudaine de son grand-père va pousser Garance à creuser cette partie du passé longtemps restée tue, avant qu'il ne soit trop tard et que ces secrets s'éteignent avec leur seul détenteur.

Ce roman a beau être estampillé lecture jeunesse, j'ai passé un très agréable moment à accompagner Garance dans la découverte de ses racines et de son histoire.

C'est un livre de vulgarisation sur l'histoire du Cambodge de la fin des années 70, et notamment du terrible épisode des Khmers Rouges, de 1975 à 1979.
C'est un livre qui m'a appris beaucoup de choses et qui m'a permis de replacer correctement quelques noms et faits que je connaissais sur cet épisode là. Les faits sont merveilleusement bien retranscrits, expliqués et simplifiés, sans pour autant qu'on ait l'impression de perdre des informations.
J'ai également beaucoup aimé la façon dont Arnaud Friedmann a tourné ce récit. On ne se base que sur les seuls souvenirs du grand-père, il conte seulement son histoire. On n'a donc, à aucun moment, l'impression d'ouvrir un livre d'histoire et d'y lire le destin de millions de personnes. Ici il s'agit de son histoire, de ce que lui seul a vécu, et l'on comprend bien que d'autres ont eu des destins différents, bien que tout aussi terribles. Le récit poignant du grand-père est abominablement beau et m'a touché en plein coeur.
Mais il s'agit aussi d'un livre de vulgarisation sur le métier d'historien. On apprend plein de choses sur ce métier et la façon de procéder lorsque l'on récolte des témoignages.

J'ai vraiment dévoré ce livre, j'ai été émue et terriblement touchée par ce grand-père virtuel, mais qui est l'incarnation de tous ces grands-pères ayant comme lui fuit le régime Khmers et ayant eu le même parcours en France.

J'ai d'ailleurs beaucoup aimé le parallèle entre le jeune étudiant du roman, devenu prof d'histoire qui a effectué son mémoire sur les réfugiés cambodgiens arrivés à Besançon à la fin des années 70 et Arnaud Friedmann. C'est un caméo littéraire qui m'a fait sourire.

J'ai beaucoup apprécié le soin apporté à la mise en page. Chaque chapitre comporte son propre pictogramme, toujours en rapport avec le Cambodge. Les polices sont changeantes, aucun doute, ce livre a le potentiel pour accrocher les jeunes lecteurs mais aussi les moins jeunes !

J'ai cependant trouvé que Garance avait parfois une façon de parler et/ou des réflexions pas trop de son âge. Plusieurs fois je me suis dit "mais une jeune fille de 14 ans n'utiliserait jamais ce mot !", mais on l'oublie très vite tant l'histoire est prenante et les personnages touchants. On lui pardonne tout à cette jeune Garance !

En résumé c'est un livre, et pardon je me répète, touchant, très émouvant, mais aussi très instructif à plusieurs niveaux. Tout d'abord historiquement, mais aussi sur le métier d'historien, et sur le lien qu'il existe entre le passé dont on hérite et le futur que l'on doit (se) construire.

J'ai choisi de mettre en lumière un extrait du récit du grand-père Tran, récit qui se passe de tout commentaire :
"Je ne pensais qu'à manger, je rêvais de nourriture. Même revoir ma femme et mes enfants n'était plus ma priorité."



Mon exemplaire est publié chez Lucca Editions.



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