N'essuie jamais de larmes sans gants || Jonas Gardell

Résumé : "1982. Rasmus vient d’avoir son bac et quitte la Suède profonde pour la capitale. À Stockholm, il va pouvoir être enfin lui-même. Loin de ceux qui le traitent de sale pédé.
Benjamin est Témoin de Jéhovah et vit dans le prosélytisme et les préceptes religieux inculqués par ses parents. Sa conviction vacille le jour où il frappe à la porte d’un homme qui l’accueille chaleureusement, et lui lance : « Tu le sais, au moins, que tu es homosexuel ? »
Rasmus et Benjamin vont s’aimer. Autour d’eux, une bande de jeunes gens, pleins de vie, qui se sont choisis comme vraie famille. Ils sont libres, insouciants. Quand arrive le sida. Certains n’ont plus que quelques mois, d’autres quelques années à vivre."


Il m'est extrêmement difficile d'écrire une critique de ce livre tant il m'a retourné, ému et bouleversé.
Rares sont les livres qui me laissent dans cet état une fois la lecture terminée, et même plusieurs heures après. Car je n'ai pas honte de le dire, ce livre m'a fait pleurer une fois la dernière page tournée.
En effet, en version poche le livre fait 845 pages, c'est un sacré pavé qui ne se lit pas en une après-midi. On passe donc beaucoup de temps avec Rasmus, Benjamin et les autres. On s'attache énormément à eux.

Rentrons dans le vif du sujet.
Stockholm, années 80.
Nous suivons les parcours de vie de Rasmus et Benjamin, deux jeunes suédois de 18 ans qui se découvrent homosexuels et quittent une vie dans laquelle ils ne sont pas eux, pour éclore et s'épanouir dans la communauté gay de Stockholm.
C'est au sein du collectif gay, qu'ils vont se rencontrer. Ce collectif gay est composé de Paul, Seppo, Lars-Åke, Bengt et Reine. Le petit groupe d'amis vivra le meilleur et le pire.
En effet au début des années 80 après avoir touché les Etats-unis, le Sida fait, lentement mais sûrement, son apparition sur le sol suédois et la capitale.
Le cancer gay, encore pris à la légère par les homosexuels qui croient alors à une manipulation politique, s’immiscera dans leurs vies. Alors qu'aucun vaccin ni remède n'a encore été trouvé, un compte à rebours vers la mort est lancé.

La structure du roman est très originale et très bien pensée.
Déjà, ce qui surprend, c'est qu'il n'y a aucune chronologie, je serais incapable de dire à quelle période se passe l'histoire, où débute le passé, où commence le futur car tout est écrit au présent... Ca m'est impossible à déterminer.
La période contée s'étale du début des années 70 pour ce qui concerne l'enfance des personnages, et la fin des années 90, pour "ceux qui restent". Entre, on s'attarde beaucoup sur la tranche 1982-1989.
J'ai aussi beaucoup aimé suivre la vie des autres personnages, celle des gars du collectif gay. On nous résume cette histoire comme étant celle de Rasmus et Benjamin mais ce n'est pas tout à fait vrai. L'auteur s'attarde énormément sur la vie de leurs amis, ainsi que sur leurs émotions, leurs amours, leurs déceptions, ce qui en font presque des personnages principaux. Tous existent, aucun n'est laissé de côté par l'auteur, à cette époque où les homosexuels sont eux, mis de côté.
Comme je le disais, la chronologie n'est pas respectée, le futur se mêle au passé, qui lui se mêle au présent. On fait sans cesse des retours entre les différentes époques, afin de faire écho à ce que ressentent les personnages ou à ce qu'ils vont ressentir ou même vivre. C'est un peu déroutant au début, mais on comprend très vite pourquoi l'auteur a choisi de présenter son histoire comme cela. Je trouve ce choix très pertinent.
Ce qui est fort aussi, c'est que dès le début, alors que l'on ne connaît pas encore les personnages ni leur vie, l'auteur nous décrit des scènes d'agonie vécues par un personnage. On ne sait pas de qui il s'agit, mais le décor est planté, on sait que cela va mal se terminer, et pourtant, je n'ai pas cessé d'espérer tout au long du Roman... espéré qu'ils y échappent, espéré je ne sais pas exactement quoi...

Chose très intéressante aussi, l'auteur n'hésite pas à stopper son récit à de très nombreuses reprises,  pour inclure des faits d'époque sur le Sida, les titres et extraits des premiers articles qui lui sont consacrés, ce que les politiques, religieux, médecins, et autres en disaient au tout début de l'épidémie et au fil des ans.
Pour moi qui connaît vraiment "histoire" du Sida dans ses grandes lignes, j'ai été très surprise, choquée, et cela m'a fait beaucoup de peine. C'était à chaque fois encore plus difficile de retrouver les personnages en ayant lu ces passages.

Ce livre est truffé de passages extrêmement drôles, qui viennent contrebalancer les passages plus durs et révoltants. Car l'auteur ne nous épargne pas et ne nous cache rien. Nous sommes témoins de la déchéance de certains personnages, comme si nous étions à leurs côtés, comme si nous partagions ces moments tragiques avec eux.

Cependant, j'ai un peu été gênée par les allusions constantes à la Bible. Bien que je les trouve souvent justifiées surtout dans le cas de Benjamin qui est témoin de Jéhovah et dont la famille vit la Bible greffée dans la main, je me disais que parfois elles étaient peut-être en trop. Le parallèle aurait pu être fait autrement, comme avec l'élan blanc par exemple. Métaphore que j'ai trouvée merveilleuse, et dont je me souviendrais toujours, je pense.

Il ne faut pas avoir peur de la grosseur du livre, une fois commencé, vous ne pourrez plus vous arrêter, et vous ne serrez plus tout à fait le même une fois ce chef-d'oeuvre terminé.

J'ai aimé beaucoup (trop) de passages du livre. Certains pour leur drôlerie, certain pour leur véracité et d'autres pour le choc, pour ce coup dans la poitrine qu'ils m'ont donné.
J'ai choisi celui-ci, car en le relisant il me bouleverse encore et toujours:
"C’est maintenant que Benjamin pourrait se lever et hurler.
Hurler qu’il est homosexuel.
Hurler qu’il partage sa vie avec Rasmus et qu’il l’aime d’amour. Qu’il a des amis malades de ce cancer gay que les journaux rabâchent à longueur de pages. Qu’ils sont tous terrorisés. Qu’ils ont peur du sang l’un de l’autre, peur du sperme l’un de l’autre, peur de la sueur l’un de l’autre. Peur des baisers, des poignées de main, des étreintes. Peur d’être le prochain sur la liste.
Qu’ils vérifient sans arrêt. Chaque fois qu’ils avalent. Chaque fois qu’ils ont mal quelque part. Chaque fois qu’ils ont trop chaud et peut-être de la fièvre, ou qu’ils trouvent leurs ganglions gonflés."



Mon exemplaire était aux éditions Gaïa, collection Kayak.



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