La vraie vie || Adeline Dieudonné

Résumé : "C’est un pavillon qui ressemble à tous ceux du lotissement. Ou presque. Chez eux, il y a quatre chambres. La sienne, celle de son petit frère Gilles, celle des parents, et celle des cadavres. Le père est chasseur de gros gibier. La mère est transparente, amibe craintive, soumise aux humeurs de son mari. Le samedi se passe à jouer dans les carcasses de voitures de la décharge. Jusqu’au jour où un violent accident vient faire bégayer le présent.
Dès lors, Gilles ne rit plus. Elle, avec ses dix ans, voudrait tout annuler, revenir en arrière. Effacer cette vie qui lui apparaît comme le brouillon de l’autre. La vraie. Alors, en guerrière des temps modernes, elle retrousse ses manches et plonge tête la première dans le cru de l’existence. Elle fait diversion, passe entre les coups et conserve l’espoir fou que tout s’arrange un jour."

La narratrice est une jeune fille de 10 ans au début de l'histoire dont on ne connaîtra jamais le prénom. Elle raconte son enfance teintée de terreur auprès de ses parents et de son jeune frère de 6 ans, Gilles.
Avec un père autoritaire, tortionnaire et une mère défaitiste et transparente qui ne semble être là que pour essuyer la violence et les coups de son mari, la narratrice et son frère Gilles tentent de grandir le plus discrètement possible dans un seul but, fuir cette famille.
Mais un drame effroyable va venir rebattre les cartes de cette famille et forcer la narratrice à revoir ses plans d'avenir afin de sauver son frère, avant même d'envisager de se sauver elle-même.

La vraie vie est une histoire prenante dès les premières pages voire même dès les premières lignes.
Parfois, l'auteur prend le temps d'installer son histoire, ses personnages et leur environnement. Ici, Adeline Dieudonné nous plonge d'entrée dans le quotidien de cette famille, avec la description glaçante de ce père, pièce centrale de l'oeuvre.
Le style d'écriture est très agréable mais très anxiogène, si bien qu'il s'installe une tension permanente qui ne va pas lâcher le lecteur des premières lignes jusqu'aux dernières.
Notre lecture va nous apprendre que chaque moment d'accalmie vécus par la narratrice ne sont en réalité que le calme avant la tempête et que, comme elle, jamais le lecteur ne doit se reposer et lâcher sa garde.
Garde que j'ai moi-même relâchée à de nombreuses reprises, me prenant violemment la suite de l'histoire de plein fouet. On apprend de ses erreurs.
Cette lecture m'a vraiment marquée. Agréablement marquée. Effroyablement, aussi.

Le fait qu'Adeline Dieudonné ne mentionne jamais le prénom de la narratrice, laisse flotter un sentiment, erroné, qu'il pourrait s'agir d'un récit autobiographique. Et bien qu'il s'agisse d'un roman, cela donne une dimension encore plus réelle à l'histoire (et donc terrifiante). On a beau savoir qu'il s'agit d'un roman, la justesse et la précision des sentiments ressentis par la narratrice vient presque remettre cette certitude en cause. Incroyable !

Outre sa noirceur, ce livre est philosophiquement riche. Les pensées de la narratrice sont à la fois candides mais aussi profondément pures et réfléchies.
Il y a aussi l'omniprésence d'Eros et Thanatos, l'amour/la vie est en constante opposition à la mort qui rode comme un redoutable spectre au dessus de cette famille.

Et bien que l'on ait l'intime conviction que pour mettre fin au supplice de cette famille il n'y a qu'une seule solution possible, on arrive encore à être surpris.
Si la mère et les enfants sont de véritables punching-balls pour le père, nous, lecteurs, nous sommes celui de ce roman, incontestablement.

Je termine avec la première description que nous avons du père. Le décor est planté, trop tard pour s'échapper.
"Aux murs, dans des cadres, mon père posait, fier, son fusil à la main, sur des animaux morts. Il avait toujours la même pose, un pied sur la bête, un poing sur la hanche et l’autre main qui brandissait l’arme en signe de victoire, ce qui le faisait davantage ressembler à un milicien rebelle shooté à l’adrénaline du génocide qu’à un père de famille."



Mon exemplaire était aux éditions France Loisirs.




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